Written by Aimable Manirakiza, ASFL East African Regional Director.
D’après l’intellectuel ghanéen George Ayittey, seulement 16 sur les 54 pays africains sont réellement démocratiques. Ça représente 29,6%. Ce qui veut dire que dans 70,4% des pays africains, les élites au pouvoir peuvent emprisonner, condamner à l’exil ou même mettre à mort ceux qui ne pensent pas comme eux ou osent leur disputer le pouvoir. Beaucoup de citoyens de ces pays ne peuvent pas s’exprimer librement, adhérer à un parti ou une organisation de leur choix, ou critiquer leurs dirigeants.
Nombreux sont les gens qui n’aiment pas vivre dans de telles conditions, mais se résignent à subir l’oppression parce qu’ils estiment qu’ils n’ont pas le choix.
Nous tous Africains, nous connaissons dans notre pays ou dans un pays voisin certains de ces héros qui se sont battus pour la liberté. Et certains de ceux qui ont réussi à chasser des dictateurs sont devenus des tyrans à leur tour, au grand dam de leurs concitoyens. Ils ont seulement inversé les rôles : les victimes d’hier sont devenues les bourreaux d’aujourd’hui.
Mais les plus courageux sacrifient leur confort, et même leur vie, pour braver la tyrannie. Certains le font de manière non violente, en créant des mouvements d’opposition parfois interdits ou en militant dans des organisations de défense des droits de l’homme. D’autres, les plus radicaux, vont jusqu’à prendre les armes. Les uns et les autres disent avoir un noble objectif : changer le monde, se débarrasser d’un pouvoir qui les opprime et créer une société où ils seront plus libres.
Voilà ce qui cloche : ils ont eu ce qu’ils cherchaient: le pouvoir et la richesse. Quand ils disaient se battre pour la liberté, ils parlaient de leur liberté, eux et leur famille, tribu ou ethnie. Pas pour vous et nous. Et ils considèrent qu’ils sont des héros, que le fait d’avoir vaincu l’ancien tyran leur a donné le droit de vie et de mort sur le reste de leurs concitoyens.
La solution ? Tuer le tyran qui est en vous
Alors, quand un tyran remplace un autre, surtout après avoir dit à tout le monde qu’il voulait faire la différence, ça fait mal. J’écris ça parce que je fais partie de ceux qui ont été déçus par un certain nombre de dirigeants africains, et j’imagine que je ne suis pas le seul. Beaucoup de ceux qui militent pour une Afrique libre et démocratique se découragent et se demandent : que faire ? Nombreux arrivent à la conclusion que l’Afrique est maudite, et qu’il n’y a rien à faire, ou plutôt qu’il faut faire comme tout le monde, c’est-à-dire servir les autocrates ou se reconvertir en tyran soi-même.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’Afrique est maudite et qu’elle ne sera jamais un continent de liberté et d’abondance. J’ai de l’espérance car un changement social demande du temps et de la persévérance. Pour que l’Afrique soit un continent de liberté, il faudra, à chaque démocrate, tuer le tyran qui est en soi-même. Oui, il faut d’abord le reconnaitre : chacun de nous a un côté obscur. La preuve, pour prendre un exemple classique, est que les champions de la Révolution française, qui chantaient liberté, égalité, fraternité, ont instauré la terreur et la guillotine. Nous avons tous le potentiel d’être des fossoyeurs de la liberté, tout en la désirant. Au lieu de se lancer dans la vengeance et la répression, Mandela a choisi de se libérer de ses démons, en libérant les oppresseurs et les opprimés. L’Afrique du Sud n’est pas devenue un paradis, mais elle a pu couper court aux cycles de guerres et de dictatures qui paralysent la plupart des pays africains.
Haïr le système oppressif et aimer ses ennemis
Ce processus de tuer le tyran qui est en nous, le philosophe Tzvetan Todorov l’appelle l’insoumission. Dans son livre intitulé Insoumis, Todorov considère que les insoumis «doublent la résistance à l’ennemi par une résistance aux démons intérieurs (…). Ils ne se contentent pas de s’opposer à l’oppression. Ils s’opposent sans construire l’autre comme une incarnation du diable». L’un de ces insoumis est naturellement Nelson Mandela, qui écrit dans son autobiographie : «En prison, ma colère contre les Blancs s’était apaisée. Mais ma haine du système s’était accrue. Je voulais que l’Afrique du Sud voit que j’aimais juste mes ennemis tout en haïssant le système qui a fait naitre notre affrontement». Et il a décidé, quand il a sorti de prison, de construire un pays où les Blancs et les Noirs, les anciens bourreaux et les anciennes victimes, vivent dans l’harmonie.
C’est là où Mandela diffère de la majorité des autres leaders africain. Il aurait pu décider de chasser d’Afrique du Sud tous les Afrikaners qui avaient mis en place ce système oppressif ignoble qu’est l’Apartheid. En agissant ainsi, il n’aurait pas été différent de ses anciens geôliers, puisqu’il n’aurait fait que répliquer sur ceux ce qu’ils lui ont fait subir et l’Afrique du Sud serait probablement toujours en guerre civile, avec les Noirs comme oppresseurs cette fois. Au lieu de se lancer dans la vengeance et la répression, Mandela a choisi de se libérer de ses démons, en libérant les oppresseurs et les opprimés. L’Afrique du Sud n’est pas devenue un paradis, mais elle a pu couper court aux cycles de guerres et de dictatures qui paralysent la plupart des pays africains.
Dans la plupart des pays africains, libérer un pays de la tyrannie ne revient qu’à inverser les rôles, l’opprimé d’hier devenant l’oppresseur d’aujourd’hui.
C’est décidément plus facile de lutter contre les tyrans, mais c’est infiniment plus difficile de résister contre nos démons intérieurs.
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